Alain en quelques mots…
Alain Morand, Fribourgeois né à Fribourg en 1972, est un brasseur artisanal et fabrique depuis plusieurs années les bières Fri-Mousse avec son associé. À la sortie du collège, Alain entreprend des études d’archéologie à l’Université de Fribourg, son autre passion. Mais c’est bien celle pour la bière qui le rattrapera durant sa vingtaine, ainsi que son désir d’indépendance où son côté touche à tout peut s’exprimer. Car la bière pour Alain, c’est avant tout une histoire de potes qui se réunissent le vendredi soir au café du Bel-Air (aujourd’hui le San Marco) dans les débuts des années nonante. Comme la bière rend philosophe, ils refaisaient le monde autour de leur table jusqu’à la fermeture, week-end déjà bien rentabilisé. Et un soir, c’est son actuel associé qui se fait la réflexion suivante : “avec tout l’argent qu’on dépense au Bel-Air, on pourrait ouvrir un petit bar à nous où on fait ce qu’on veut”. Idée qui a germé dans la tête de tous et qui a abouti à la location d’un garde-meubles en sous-sol dans le quartier de Beauregard. Dès lors, les réunions maltées se font les week-end, et quiconque connait le groupe, n’a plus qu’à peser sur l’interphone pour passer les portes du “Honky Tonk Bar”, nom donné à la cave en l’honneur de la chanson des Rolling Stones. Avec certains qui jouaient de la musique, d’autres qui organisaient des soirées jeux, parfois même des soirées avec les parents, l’équipe a très vite grandi. Alain se souvient d’un concert de “Triphon et Tournessol”, un groupe composé de cinq musiciens et où septante personnes ont pu fêter jusqu’au bout de la nuit.
Des casseroles aux cuves
“C’est dans ce cadre qu’est née l’idée de brasser notre propre bière” me confie Alain. En effet, le point commun de l’équipe de base reste le plaisir de déguster des bières, donc pourquoi pas brasser son propre breuvage? C’est alors parti, à coup de casseroles à spaghetti! Le Honky Tonk Bar se met alors à produire vingt litres de bière, que l’équipe prend le temps de déguster pour discuter du goût et de ce qui pourrait être amélioré. La première réussite, et donc la première recette aboutie, fut la “Old Cat”, une stout avec du caractère. Une bière qui venait proposer quelque chose de différent à l’époque où la carte fribourgeoise des bières ne proposait que l’unique draft sacrée de Cardinal. Une stout romande? C’est une première! Nous sommes en 1995. Pour l’équipe, l’important est d’expérimenter et de tester des bières particulières qui changent de la canette blonde. Car rappelons-le, à l’époque, seules les bières blanches allemandes et belges venaient gentiment s’offrir une place sur la carte. Ah! L’histoire de la bière à Fribourg, les aventures et mésaventures de Cardinal, Alain s’en souvient! Lors de la manifestation organisée suite au rachat de Cardinal, son équipe et lui-même sont montés à bord du train direction Rheinfelden pour symboliquement “ramener” les verres Feldschlösschen qui se trouvaient dans le Honky Tonk Bar.
Mais revenons-en à la production de la Old Cat. Un jour, l’équipe remarque que l’immeuble d’à côté se séparait de ses boilers individuels pour mettre en place un système centralisé. Ils en récupèrent un et en bricolant, en font leur première cuve, la HTB-100 pour “Honky Tonk Brewery 100L”. Les tests étant concluant, la bière du Honky Tonk est même invitée à la Fête de la Bière à Ouchy en 1997. Alain et son associé s’y rendent, mais pas seulement avec le produit fini, mais avec la HTB-100 pour le fabriquer sur place. Une première en Suisse Romande et qui fera des émules assez rapidement. Ce succès les encourage à louer l’actuel local à la Samaritaine, cette ancienne boucherie dans laquelle ils se mettent à brasser régulièrement de la bière les week-ends, et ce, ouvert au public. Nous sommes en 1998 et c’est ainsi que pendant dix ans, l’activité entre copains est devenue petit à petit une activité commerciale. Cependant, la demande augmentant, la HTB-100 ne suffit plus à la satisfaire, et l’activité commence à demander beaucoup d’investissement de temps et d’énergie. En 2007, les deux associés décident alors de tout plaquer pour s’y consacrer entièrement. La passion devient métier, “pourquoi pas tenter le coup!” Ils investissent leur actuel local de production (qui passe de 100 litres à 1’500 litres) dans le quartier de la Bonnstrasse à Guin, et transforment le local de l’Auge en vitrine pour les bureaux, les visites et les dégustations. Les deux associés emploient trois personnes et restent fidèles à leurs principes de récupération et bricolage, de quoi rendre la bière artisanale encore plus artisanale.
À la recherche du goût des autres, mais pas que!
Qui dit professionnalisation, dit marque. La bière sans nom du Honky Tonk doit trouver en un. De peur que “Brasserie artisanale de Fribourg” sonne trop indigeste, bien que l’idée est de rappeler qu’il s’agit d’une petite brasserie artisanale qui fait quelque chose de différent, nos associés retombent sur un nom évoqué par l’un de leurs copains de l’époque du Honky Tonk. “Fri-Mousse” passe alors d’une idée conservée au chaud à une idée fermentée et prête à être dégustée. Côté ligne graphique, il n’y en avait pas tout de suite. Des premiers designs de logos pour les différentes bières (contributions de chacun de l’équipe dont le seul point commun était l’aspect noir et blanc photocopiable), il fallait aussi une ligne graphique. Un samedi, l’associé d’Alain vient le voir pour lui demander de le rejoindre au Chasseur, à la rue de Lausanne. Là, sur la vitrine toute peinte en blanc, quelques lignes dessinées au solvant forment un dessin offrant ainsi une transparence pour guigner à l’intérieur et voir les oeuvres d’exposées. Ce sont celles de François Aeby, artiste fribourgeois peintre, sculpteur et sérigraphe. Contact pris, collaboration lancée! François Aeby crée l’identité visuelle de Fri-Mousse, de la police aux illustrations, en passant par le packaging. Comme un air de famille pour celui dont le père avait fait tâche similaire pour Cardinal à l’époque.
Mais revenons-en au breuvage. La professionnalisation implique aussi de s’intéresser aux goûts et aux demandes des clients. Partis avec la Old Cat qui est une bière qui leur plaisait beaucoup, le duo sait qu’il doit étoffer son offre. C’est ce qu’il fait que la “Barbeblanche” et la “Barberousse”, la plus connue du public, rentrent dans la gamme, aux côtés de la Old Cat et de la “Dzodzet”. Bien sûr, chacune de ces bières a sa propre histoire. Prenons celles des bières de saison à titre illustratif. La “Fleur de Sureau”, la bière d’été, est basée sur des souvenirs de son associé, lorsqu’il dégustait durant son enfance, des limonades à la fleur de sureau en Hongrie. Ils décident alors d’essayer d’associer cet arôme fin à la bière, effet madeleine de Proust garanti. Quant au “Charbonnier”, cette brune au malt fumé, elle est le résultat d’expériences faites durant les fêtes médiévales à Fribourg où ils participaient comme brasseurs d’époque, à coup de chaudron et feux de bois, et alimenté en eau par la fontaine Sainte-Anne. “Quand t’as commencé dans des casseroles, tu sais faire dans beaucoup de choses”! Testant de voir si la fumée influencerait le goût de leur Barbeblanche, ils remarquent que non. Du coup, ils essaient directement avec du malt fumé et après quelques éditions de ces fêtes, la recette a évolué en produit fini pour devenir leur bière d’hiver. Une gamme aujourd’hui donc composée de six bières, où leur créativité a pu s’exprimer, tout en proposant une gamme répondant à la demande.
Fribourgeois car…
Né à Fribourg, mais n’y ayant habité que les six premiers mois de sa vie, Alain a toujours habité en périphérie de Fribourg. Mais il considère pourtant y avoir toujours “vécu”, en tout cas depuis les années d’école. Tandis que la taille humaine de la ville-village aura fini par convaincre certains de ses amis de s’installer sur les rives zurichoises, Alain, lui, a choisi d’y rester justement pour cet effet de marcher dans la rue et de croiser des visages connus. Et en tant que passionné d’archéologie, c’est aussi l’extraordinaire ensemble d’édifices et bâtiments médiévaux, ce continuel plongeon dans l’histoire, qui a su retenir Alain à l’intérieur des murs de la ville. Une architecture si riche, que “tu repères toujours des nouveaux détails tous les jours”. Pour lui, la beauté de la Vieille-Ville n’a rien à envier à d’autres destinations que l’on pourrait considérer comme plus exotiques. Même si le Fribourgeois est parfois trop conservateur à ses yeux, ce n’est pas grave, “c’est comme dans une relation amoureuse, il y a toujours quelques aspects dérangeants”. D’ailleurs, en parlant d’amour, Alain n’aime pas “qu’on touche au coeur de Fribourg” à coup d’urbanisation insensée. Mais comme tout, avec le temps, on s’habitue, et cela ne change rien à la relation.